ENTRETIEN : En Slovénie, « le référendum est une tactique politique »

Le politologue et ancien ministre de l'éducation slovène, Igor Lukšič, est professeur à l'université de Ljubljana. © E. Barets

Dans ce pays de deux millions d’habitants, l’usage très fréquent de ce mode d’expression directe du peuple tend à être détourné par les acteurs politiques, analyse le politologue Igor Lukšič.

Les Slovènes sont très régulièrement appelés à se rendre aux urnes pour des référendums : une trentaine ont eu lieu depuis l’indépendance du pays en 1991, elle-même proclamée à la suite d’un vote massif en sa faveur. Les citoyens ont été invités à se prononcer sur l’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne, la privatisation des chemins de fer ou encore la procréation in vitro. Le dernier en date, tenu le 11 mai 2025, concernait une loi sur l’élargissement des pensions complémentaires aux artistes, à l’initiative du parti d’opposition conservateur, qui s’est positionné avec virulence contre cette proposition. Fait rare pour un référendum : deux des partis de la coalition au pouvoir ont appelé à le boycotter, de même que le Premier ministre Robert Golob. Ces tensions illustrent la polarisation croissante du paysage politique et l’instrumentalisation dont fait l’objet cet outil de démocratie directe, estime le politologue Igor Lukšič, professeur à l’université de Ljubljana, ancien ministre de l’Éducation (2008-2012) et ancien chef du groupe parlementaire du parti social-démocrate (2012-2014).

Comment s’organisent les référendums en Slovénie ? 

Le référendum peut être proposé par le gouvernement, par l’opposition ou par les citoyens, ces derniers devant récolter au minimum 40 000 signatures en un mois. Sur les trois dernières années, huit référendums ont été organisés : sept à l’initiative du gouvernement et un par l’opposition.

La question soumise au référendum peut aussi bien porter sur une loi avant son adoption que sur une loi déjà adoptée. Toutefois, même si elle a été rejetée par référendum, une loi peut être réintroduite après un délai d’un an – bien que cela ne soit encore jamais arrivé. 

Quel en est son usage dans le jeu politique ? 

Le gouvernement peut s’en servir pour tester sa majorité. Lorsqu’il est initié par l’opposition en revanche, cela se transforme en référendum contre le gouvernement. L’objectif est alors de montrer que la majorité exprimée dans les urnes s’oppose au gouvernement. Le référendum est donc aussi une tactique politique. 

Ces dernières années, la tendance est de soumettre plusieurs questions à la fois pour attirer les électeurs. Lors des dernières élections européennes de juin 2024, le gouvernement actuel, formé par une coalition de gauche, a organisé en même temps quatre référendums portant sur plusieurs sujets différents, dont la légalisation du cannabis. L’idée n’était pas de sonder l’opinion majoritaire sur ces questions mais plutôt de mobiliser l’électorat de gauche pour le scrutin européen. C’était une bonne stratégie, cela a attiré 5 à 10% de personnes de plus !

Surtout que le taux de participation est généralement crucial…

En effet, il est important d’avoir plus de 20% de votants. Si ce quorum n’est pas atteint, le résultat du référendum n’est pas pris en compte. Nous l’avons inscrit dans notre Constitution en 2013. C’était ma proposition en tant que président des sociaux-démocrates. Jusque-là, si une seule personne votait, cela suffisait pour faire passer une loi.

[Infographie interactive] Parmi les référendums ayant le moins mobilisés figurent la proposition de loi sur la régionalisation en 2008 avec près de 11% de participation ou encore la loi sur la protection des archives en 2014 (près de 12%). Les votes pour l’adhésion à l’OTAN et l’UE en 2003 ont en revanche particulièrement attiré les électeurs (60% ), tout comme la consultation sur la loi sur les assurances en 2007 (près de 58%), qui a eu lieu le même jour que le premier tour de l’élection présidentielle.

Qu’en est-il des initiatives citoyennes ? 

En 2021, il y a eu officiellement une initiative citoyenne à propos de la loi sur l’eau. Mais en réalité, c’est le parti d’opposition qui a proposé d’organiser la collecte des signatures. L’opposition voulait montrer que les citoyens se positionnaient eux aussi contre le gouvernement.

Le référendum représente pour l’opposition un moyen de montrer qu’elle n’a pas disparu de la scène politique. Car en l’absence d’initiatives, lorsque l’on passe plusieurs années dans l’opposition dans un contexte économique favorable – comme celui que nous connaissons actuellement – les citoyens finissent par ne plus percevoir leur existence.

D’où vient ce recours fréquent aux référendums ? 

Dans notre pays, il existe une culture de participation aux prises de décision. Durant la République yougoslave (1945-1991), le système d’autogestion s’accompagnait de nombreux référendums locaux qui permettait de voter des fonds supplémentaires destinés aux infrastructures publiques (écoles, crèches, gares…). Déjà avant la Seconde Guerre mondiale, il y avait une conscience politique de prendre part aux décisions cruciales. Le premier référendum en Slovénie a eu lieu en 1920, organisé selon le principe des peuples à disposer d’eux-mêmes, autour de la délimitation des frontières avec l’Autriche. 

Le plus marquant reste toutefois celui de 1990 : près de 89% de Slovènes se sont prononcés en faveur de l’indépendance, avec un taux de participation de 93%. C’est l’expérience principale qui explique pourquoi le recours au référendum s’est poursuivi naturellement jusqu’à aujourd’hui.

Et aujourd’hui, les Slovènes continuent-ils à s’y impliquer ? 

À chaque référendum, on constate que la majorité d’entre eux ne se déplacent pas. Mais comme nous sommes un petit pays où il ne se passe pas grand-chose, le référendum permet au moins de maintenir l’intérêt des citoyens pour la vie politique. Sinon, d’un point de vue technique, le référendum n’a pas beaucoup de signification. Les décisions qui en découlent ne sont en fait pas très importantes puisqu’en cas de refus d’une loi, le véto ne dure qu’un an. Ce n’est plus ou moins que de la manipulation. 

Le rôle des parlementaires se retrouve-t-il affaibli par l’utilisation régulière de cet outil de démocratie directe ? 

Tel que je le vois, un référendum devrait être inscrit dans la Constitution comme un correctif final au processus décisionnel du parlement, et réservé à de très rares cas spécifiques, tels que l’adhésion à l’OTAN et l’Union européenne [voté en 2003]. Ainsi que des situations où le Parlement perdrait le sens des réalités – une déclaration de guerre par exemple. 

J’estime que le fonctionnement du Parlement est adéquat et juste, et que nous n’avons donc pas besoin du correctif qu’apporterait un référendum. Cela dit, je respecte et comprends que les partis politiques l’utilisent pour se mettre en avant. Reste que cela coûte très cher : entre 5 à 6 millions d’euros par référendum, simplement pour savoir qui mène le débat public.

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